Na semana passada, estive em Córdoba, na Espanha, para o encontro da Academia da Latinidade (
). Criada por Candido Mendes, a academia pretende desde o início ser um contraponto às políticas de Bush e outros que enfatizaram o conflito em vez da negociação. Tanto assim que vários encontros da Academia tiveram lugar em terras do Islã.
Esta foi a primeira vez que estive numa reunião da Academia. Era a 21a.
Transcrevo o texto que apresentei, em francês.
Renato Janine Ribeiro
Tout bilan favorable des Lumières est tiraillé, depuis un certain temps – je l’ai vu et entendu en 1989, lors des grands colloques sur le bicentenaire de la Révolution française –, par deux forces ou tendances en conflit, voire antagoniques. D’une part on célèbre l’avènement – européen – des idées qui proclament l’égalité des hommes et leur droit indéniable à la liberté. D’autre part on critique l’écart entre ce discours de souche européenne et la pratique des mêmes Européens, qui ont nié l’exercice de ces droits aux peuples qu’ils colonisaient. Si aux Amériques la colonisation européenne prend fin presque en entier le lendemain de la Révolution française – la plupart des colonies d’Espagne et du Portugal s’en déclarent indépendantes entre 1810 et 1822 – la mainmise systématique du Blanc sur le continent africain commence juste après cette période. Si les Latino-américains peuvent donc établir un certain lien, quoique toujours sujet à caution, entre les idéaux des Lumières et leur émancipation, pour les Africains ce rapport est contradictoire, ironique, voire hypocrite. Que la liberté tarde quelques décennies à aller de la Bastille à Bahia (1823) ou à Ayacucho (1824), on le comprend. Mais que l’occupation de l’Afrique, avec son cortège d’infâmies qui comprend les crimes du roi des Belges dans le Congo qu’a dénoncés entre autres Sir Roger Casement, se produise après les Lumières et les indépendances américaines, voilà ce qui ne peut pas s’expliquer par la logique du seul retard. Il s’agit bel et bien d’une contradiction.
Dans le premier cas, il y a continuité entre la parole des Lumières et l’acte d’indépendance des colonies acquises lors de la première mondialisation, celle du 16e siècle. Les mots prennent un certain temps avant de se faire chair. Dans l’autre cas, cependant, il ne s’agit pas d’un délai, mais d’une opposition. Ici les mots ne sont pas lents : ils mentent. Lorsqu’on transmet aux Africains – ou aux peuples des Indes – des idéaux occidentaux dont en même temps on leur refuse la jouissance, témoins le massacre d’Amritsar le lendemain de la Grande Guerre et ceux de Sétif et Guelma à la fin exacte de la II Guerre Mondiale, le message qu’on repasse aux Africains et à beaucoup d’Asiatiques n’est pas que la culture européenne porte la justice, même si elle le fait plutôt lentement : mais plutôt que la culture blanche est hypocrite et qu’elle affirme le contraire de ce qu’elle fait. Sa pratique ne tarde pas par rapport à sa parole : sa pratique est la vérité de sa parole, elle montre que celle-ci ment, bref, sa pratique infâme est la vérité de sa parole belle mais hypocrite. Les mêmes principes encyclopédiques qui s’appellent des idéaux en Amérique – ainsi qu’en Europe – ayant pour fonction d’inspirer des actes, ayant donc un sens fortement pédagogique parce qu’ils apprennent à des gens formés dans le sein du despotisme ou sous la férule coloniale un nouvel ethos, deviennent donc idéologie en Afrique et en Asie, parce que dans ces deux continents le discours n’est pas une vraie promesse, il est un leurre. Et c’est pourquoi, il y a de cela un peu plus de vingt ans, les Européens et surtout les Français disaient à leurs collègues étrangers que les libertés que ceux-ci avaient acquises étaient nées des Lumières, tandis que certains Latino-américains, des Orientaux et surtout les Africains soutenaient que les idées encyclopédiques n’avaient pas endigué la méchanceté des colons, pire, elles leur avaient peut-être servi d’alibi. Après tout, l’occupation de l’Afrique s’est faite, au cours du 19e siècle, en invoquant le prétexte de mettre fin à l’esclavage, aux massacres inter-ethniques. Si la colonisation des Amériques invoquait l’idéal de christianisation des peuples païens, trois siècles plus tard celle d’Afrique faisait appel à des idéaux moins locaux, plus universels : Stanley, Livingstone et tant d’autres qui se sont aventurés en Afrique n’oseraient jamais s’appeler des conquistadores. Ils ne ramèneraient pas dans leur pays des animaux exotiques avec des êtres humains également exotiques. Et, s’il leur arrivait de ramener en Europe des animaux exotiques – pour les présenter à des sociétés savantes, jamais à une cour où siégeraient un roi et son fou – ils éviteraient soigneusement de présenter des êtres humains comme si ceux-ci étaient également exotiques. Même s’ils partageaient avec certains colonisateurs du 16e siècle l’idéal d’évangelisation des païens, leur version du christianisme serait dans quelque mesure redevable des Lumières. Ils pouvaient vanter la supériorité du christianisme, comme l’avaient fait les missionnaires en Amérique, mais ce serait pour prêcher un christianisme plus dépouillé, plus humanitaire, moins sectaire que celui qui avait amené des Catholiques en Amérique latine et des Protestants au nord du continent.
Or, c’est exactement cet aspect, disons-le, « bon » de la colonisation plus récente qui la rend intolérable. Celle du 16e siècle s’est perdue dans le passé. Ses justifications ne sont plus de mise. On peut mettre en cause leur bonne foi, on peut dire que pour un Las Casas il y avait maints Cortès et Pizarros, mais tout cela est très loin de nous. Si on condamne ce qu’ils ont fait, le génocide, l’ethnocide, la traite, il n’en est pas moins vrai que les discours qui ont servi de justification à ces pratiques ont cessé d’être prononcés depuis longtemps : l’Encyclopédie, les Révolutions ont eu raison d’eux. J’en cite un seul, L’économie chrétienne des seigneurs pour le gouvernement des esclaves, que le jésuite Jorge Benci a publié en 1700 afin d’édifier les seigneurs des plantations brésiliennes : le propriétaire d’esclaves leur doit, dit-il, dans une formule devenue célèbre en Portugais, pão, pano e pau, c’est-à-dire, du pain pour qu’ils mangent et ne dépérissent pas, du tissu (« pano ») pour qu’ils ne marchent pas nus et ne tombent pas dans les péchés de la chair, et du bâton (« pau » : littéralement, du bois), pour les corriger physiquement s’ils manquent à la discipline et les ramener dans le droit chemin. Ce discours s’inscrit dans la droite ligne des doctrines qui sous l’Ancien régime imposaient aux rois et aux gouverneurs en général le droit de corriger les brebis égarées, même si cela impliquait les soumettre à des supplices épouvantables comme le bûcher. Ce qui est remarquable ici est que Benci affirme que pão, pano e pau sont dus aux esclaves, c’est-à-dire, il ne s’agit pas d’un droit qu’aurait le seigneur de les châtier à son gré, mais plutôt d’un devoir qu’il a – envers eux – de les corriger : c’est pourquoi le pain, qui les nourrit, le tissu, qui les habille, leur sont dus autant que le bâton qui frappe leur corps pour sauver leur âme. Or ce discours n’a plus de sens aujourd’hui. Celui qui le tiendrait, on le prendrait pour un fou ou pire. Le discours qui a présidé à la colonisation des Amériques a ainsi perdu son sens, d’une part, et d’autre part celui des Lumières a aidé à notre indépendance. Mais ces idéaux qui se sont avérés plus ou moins émancipateurs en Occident – plus en Europe et en Amérique du Nord, moins en Amérique latine – ont joué un tout autre rôle en Afrique. Dans ce continent ils ont fourni à la colonisation un certain soutien. Il ne faut évidemment pas exagérer et inscrire l’occupation de l’Afrique au 19e siècle dans la filière de l’Encyclopédie. Ce serait absurde. Mais les politiques française et britannique de colonisation au 19e siècle faisaient usage de l’esprit moderne, parfois démocratique. Ce n’est pas par hasard si, une décennie après la fin du Second Empire à Sedan et peu après l’amendement Wallon qui entérine le fait républicain en France, ou plutôt la forme républicaine comme étant celle du gouvernement en France européenne, le mot d’Empire français est déjà rentré dans les habitudes, mais cette fois-ci pour désigner ce qui se passe en-dehors des frontières historiques, « naturelles », nationales. C’est comme s’il y avait en France moderne un besoin d’Empire : à la chute de celui qui restreignait les libertés civiles et politiques de citoyens français réduits à la condition de simples sujets, s’ensuit l’établissement d’un Empire, non plus à l’intérieur de la métropole mais à son extérieur, qui assure une image de grandeur à la France. On y voit peut-être le secret, la contradiction intérieure de ce qu’on pourrait appeler le désir d’Empire: l’Empire éteint les libertés civiles, il réduit les gens à une sorte de captivité ; or, les Français n’en veulent plus ; cependant, en même temps il assure la gloire, il octroie à un pays européen de taille moyenne une place de choix comme l’une des deux, trois grandes puissances du monde ; mais comment avoir en même temps la gloire et la liberté ? Comment garder de l’Empire ce prestige dont chacun peut se vanter, mais sans avoir à se courber devant des potentats idiots ? Après coup la solution qu’on a prise semble très simple : il suffisait de séparer gloire et servitude, de trancher le rapport qui les unissait ; auparavant les soldats qui servaient les Empereurs des Français en tiraient de la gloire ; grandeur et servitude étaient le lot des militaires ainsi que de tous les citoyens-sujets des deux Empires que s’est successivement donnés la France. Maintenant la gloire ira aux Européens, tandis que la servitude sera imposée aux colonisés. L’Empire colonial apportera de la gloire, et bien sûr des richesses, à la France républicaine. Mais cela au prix de nier aux colonisés les droits républicains les plus élementaires. Un exemple tardif et grave, parce qu’il s’applique à cette Algérie départementalisée à l’instar de la métropole, dont on disait en 1950 qu’elle était la France, est celui des collèges électoraux séparés pour les les Arabes et les Français qui vivaient dans la colonie, où le vote des premiers ne valait qu’une fraction de celui des Blancs. Cela s’est d’ailleurs produit partout : la colonisation niait les valeurs qui étaient inscrites, sous le nom de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans la culture et depuis 1946 dans la Constitution française. Mais notre question n’est pas que l’Encyclopédie ait été ignorée, méprisée, méconnue : si cela était, notre problème serait moins grave ; il suffirait qu’elle cesse d’être bafouée pour qu’elle porte ses fruits. Ce qui nous inquiète, c’est autre chose : c’est que les idées de l’Encyclopédie aient partagé la couche de l’oppression ; que le discours des droits de l’homme ait coexisté avec la pratique de l’asservissement de millions de personnes, voire qu’il l’ait légitimée. Voilà le problème : l’Encyclopédie aura-t-elle servi, même à son insu, aux pratiques qu’elle condamnait ? Aura-t-elle été un grand alibi à la réduction en captivité des colonisés de la « seconde vague », celle du 19e siècle ?
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S’il y a un moment où les idées connaissent leur apogée, c’est bien celui des Lumières. Il peut y avoir eu, avant ou après, des époques plus riches en intelligence. Pourtant ce qui est en question ici n’est pas la qualité des idées, mais leur rôle. Or c’est au 18e siècle que se consacre la conception que des idées puissent changer le monde – et le changer pour le rendre meilleur. Cela implique que ces idées deviennent des idéaux. Mais là est notre problème : les idées par excellence, celles des Lumières, sont-elles des idéaux, des phares qui nous préparent vers l’avenir – ou plutôt des idéologies ? Ni l’idéal ni l’idéologie ne reflètent pas ce qui existe. Le propre de l’idéal est qu’il ne propose pas un portrait de ce qui existe maintenant, mais une image puissante de ce qui peut et/ou doit se passer à l’avenir. Le propre de l’idéologie est qu’elle invente un monde merveilleux afin de mieux faire passer la mesquinerie du monde. Le projet, l’idéal possède une valeur étique. La fausse merveille, par contre, même si elle nous éblouit esthétiquement, est négative du point de vue étique. Donc, le poids qu’on donnera aux Lumières sera bien différent selon le rôle qu’y joueront les idées. Si on accepte l’hypothèse que dans certains endroits les idéaux ont servi à la captivité et non à l’émancipation, alors les Lumières ne pourront pas être prises en compte toujours, systématiquement, comme des signes avant-coureurs de la liberté. Il faudra bien vérifier non seulement ce qu’elles disent, mais ce qu’elles font, ou ce qu’on en a fait.
La critique des idéaux est menée par Machiavel, celle des idéologies par Marx. Tous les deux constatent une dissonance entre ces belles idées et la réalité. Il faut préciser que cette dissonance ne signifie pas qu’elles reflètent mal la réalité, parce qu’ici on ne parle pas de connaissance, mais d’action : ni les idéaux ni l’idéologie ne représentent ce qui est ; ils disent ce qui doit être, ce qui peut être ; ils parlent de l’avenir, possible ou nécessaire, plutôt que du présent ; si dissonance il y a, elle n’est pas que cognitive, elle concerne surtout l’action. Tout beau discours est trompeur, là sont d’accord nos deux auteurs. Les belles paroles séduisent, et par là elles entravent la liberté d’agir. Mais qui est trompé par elles ? là divergent Machiavel et Marx.
Pour Machiavel les beaux discours auxquels peut croire un prince lui menottent les mains ; s’il croit vraiment à la morale, surtout chrétienne, s’il fait preuve de mansuétude, il sera incapable d’agir, il ne tiendra pas son état de prince, il ne préservera pas l’Etat qu’il gouverne, ce stato qu’il doit mantenere. Chez Marx, au contraire ou presque, les beaux discours masquent la réalité des actions du prince – ou de ses héritiers conceptuels, la « classe dominante » ; ce sont eux précisément qui assurent l’efficacité de ses actes ; c’est justement parce que tous croient à ces mots un peu vides ou assez faux que la classe dominante maîtrise le politique. Disons donc que chez Machiavel le prince se trompe, chez Marx la classe dominante trompe les autres ; les beaux discours affaiblissent le prince, d’après Machiavel, mais pour Marx ils renforcent le pouvoir des dominants sur les dominés. Dans les deux cas la myopie est cause de défaite, mas elle n’affecte pas les mêmes sujets. Il y a myopie du prince chez Machiavel, il y a myopie des citoyens chez Marx. Mais le mensonge lui-même ne prend le devant de la scène que chez le penseur allemand. Pour son prédécesseur florentin il y a mauvaise perception du politique chez les princes qui croient que des Etats puissent être chrétiens en entier, mais ces princes ne trompent pas autrui, ils se trompent eux-mêmes. Chez Marx, par contre, la classe dominante crée une phantasmagorie qui lui permet de tenir un pouvoir qui est plus fort que celui que s’imaginait Machiavel, du fait qu’il n’est pas que politique, il comprend aussi et surtout l’économie. Mais il s’ensuit un problème : est-que la classe dominante croit à son idéologie ? Ment-elle ? Or celui qui ment sait qu’il ne dit pas la vérité. Pour que mensonge il y ait, il faut que le menteur en soit conscient.
Le mensonge peut évidemment avoir sa place chez le prince machiavélien. S’il se trompe lorsqu’il croit aux idéaux, par contre, parfois il ne réussit dans son entreprise de domination que parce qu’il a menti. Nous lisons dans Il principe des récits de princes qui ont su détruire leurs rivaux en les attirant dans un guet-apens. Mais ces mensonges, très ponctuels, sont loin de la phantasmagorie qui est le statut du discours idéologique chez Marx. Pour y arriver il aurait fallu que Machiavel ait passé par le baroque. Une chose est de vous dire venez, je vous recevrai les bras ouverts, oublions nos querelles passées, et ensuite de vous tuer ; tel est le mensonge chez Machiavel. Une autre chose est de construire tout un théâtre qui enveloppe l’autre dans une représentation complète du monde : le futur cardinal de Retz est emprisonné du temps de la Fronde dans le château de Nantes ; il s’aperçoit que sa fuite est impossible, mais il sait aussi que le château a un seul prisonnier, lui-même ; il cache des aliments sous un escalier, il combine avec des amis qu’ils feront du bruit autour du château, qu’ils y laisseront une échelle, qu’ils partiront à cheval en tirant vers l’air et que l’un d’eux s’habillera comme lui, tandis que lui, il restera dans le château ; ses gardiens sont dupes de cette pièce de théâtre habilement menée, ils croient qu’il est parti – tandis qu’évidemment il se cache sous l’escalier – et quelques jours après, Gondi quitte le château par la porte principale, sans que personne ne se rende compte de son identité. Du moins est-ce ce qu’il nous raconte dans ses Mémoires... Ou bien un penseur, le premier grand philosophe de la modernité, s’imagine que toutes ses perceptions sont l’oeuvre d’un être tout puissant, un malin génie, qui s’évertue à le tromper : voilà le baroque. Le mensonge du prince de la Renaissance – venez, mon ami, puis je vous tue – est trop simple devant des mises en scène aussi élaborées. L’idéologie chez Marx hérite de ces formes plus riches, complexes, qu’a développées le baroque, créateur d’un véritable faux monde alternatif. Or cela implique une question importante et supplémentaire : s’agit-il d’un mensonge ? Du fait que l’idéologie offre une image « fausse », un « masque » du monde, Il est assez fréquent qu’on s’imagine qu’elle est le fruit d’un complot, qu’elle aurait été composée par un comité de la classe dirigeante dans le but de tromper les dominés et de par là s’assurer sa domination. L’idéologie est alors réduite à un mensonge. Mais est-ce une description convenable de l’idéologie ? Peut-on s’imaginer que les collaborateurs de Walt Disney auraient créé les personnages de Donald, Picsou, Mickey dans le but conscient d’asseoir le triomphe de l’idéologie capitaliste sur les enfants? Ou plutôt la construction de l’idéologie aurait bien pour résultat d’établir une domination, mais sans que cela résulte d’une opération consciente de tromperie, de quelque chose de délibéré – bref, d’un mensonge. Probablement la grande spécificité de l’idéologie réside précisément dans le fait qu’elle n’est pas un mensonge ; elle n’est pas créée de toutes pièces ; elle va plus loin que le théâtre baroque, parce qu’elle n’a pas de créateur au sens où quelqu’un l’aurait inventée sans en être dupe. Probablement, pour engendrer une idéologie réussie, il faut y croire.
Pour reprendre notre question : si les Lumières sont un idéal, on peut les renforcer là où elles sont encore faibles. Tout tient à ce mot, encore. Il nous fait penser que des développements sont possibles. Le suffrage est loin d’être universel, l’inégalité des sexes a mené à la guillotine Olympe de Gouges, les travailleurs n’ont pas de droits – mais le monde que je décris par ces rapides esquisses, celui du début du 19e siècle, est capable d’un progrès, qui mènera, comme d’ailleurs il a mené, au suffrage de tous les adultes, à l’égalité des femmes, aux droits sociaux, à la suppression des monarchies et à la diffusion des formes démocratiques de gouvernement. Par contre, si on suppose que les Lumières relèvent essentiellement de l’idéologie, alors elles entravent le changement historique. Elles sont un leurre. Les concessions qu’elles accordent, voire celles qui s’y ensuivent, ne touchent pas à l’essentiel. Le problème, là, est de savoir ce qu’est cet essentiel. Du fait que nous pensons surtout à ceux qui sont les laissés-pour-compte de l’Occident, à cet Autre de l’Occident qui a été réduit à la condition coloniale après et non avant les Lumières, il faut se demander si des pas en avant politiques en Occident ont impliqué des pas en arrière ailleurs. On peut se souvenir que le même John Locke qui soutenait la liberté comme droit naturel et qui dans son Deuxième traité sur le gouvernement (1690) ôtait toute justification possible à la réduction en esclavage des enfants des captifs, reconnaissait dans les Constitutions qu’il a écrites pour la colonie de la Caroline la réalité et la légalité de l’esclavage héréditaire des Noirs. Cette contradiction est fréquente en politique, même si celle-ci n’obéit pas exactement au paradigme de l’idéologie : pour qu’idéologie il y eût, il aurait fallu un discours qui ne soit pas que contradictoire : Locke pourrait peut-être concilier son esclavage « philosophique » du Deuxième traité, où le captif est un condamné à mort qui bénéficie d’un sursis, avec un esclavage paternaliste en Caroline, où les Noirs seraient l’objet d’une graduelle intégration au monde moral, chrétien, adulte : au fait, il serait très difficile de justifier que tous les esclaves « empiriques », ceux du monde réel, soient des condamnés à mort dont l’exécution a été ajournée sine die, et absolument impossible d’attribuer cette condition à leurs enfants nés en captivité. Et c’est ce discours plus condescendant, celui dont le père Jorge Benci S. J. que nous citions il y a quelques pages est l’un des meilleurs auteurs, qui triomphera à la fin, tandis que l’idée de l’esclave promis à la mort, même si elle s’inspire d’une tradition philosophique plus longue – on la voit chez Locke mais avant lui chez Hobbes – n’aura pas d’usage en-dehors des traités de philosophie politique : elle n’imprégnera même pas, surtout pas, les traités de droit. De toute façon, toute une série de discours libéraux coexiste avec des pratiques qui ne le sont pas du tout ; il ne nous reste que deux possibilités, ou bien les discours finiront par prévaloir, ou bien les pratiques ; dans le premier cas les discours sont porteurs d’avenir, les idéaux peuvent vaincre les actions humaines encore en retard ; dans l’autre tout se résume en acta non verba : les mots ne valent pas grand-chose, seuls comptent les actes. C’est par là que la critique a été adressée pendant un certain temps aux discours des Lumières, au libéralisme européen et ensuite nord-américain.
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Il est d’assez mauvais ton d’introduire dans une discussion philosophique des événements historiques comme s’ils devaient y tenir le rôle d’un juge ex machina. Il faudrait plutôt réfuter des discours par d’autres discours, des paroles par des concepts. Mais il n’en est pas moins vrai que, si on fait aujourd’hui le bilan – certes provisoire, comme tous les bilans, à l’exception de ceux qui attestent une faillite définitive – de ce qu’on exposait dans les pages qui précèdent, les alternatives aux Philosophes n’ont pas été porteuses d’avenir. Quelques-uns pourraient encore accuser les Lumières de ne pas avoir tenu toutes leurs promesses. Mais la voie de la liberté et celle de la démocratie ne connaissent pas de terminus : on peut toujours demander davantage. Donc, à la limite on pourrait répondre, à ceux qui critiquent une démocratie insuffisante, que le propre du démocratique est de ne jamais suffire ; que la démocratie est un régime de la demande croissante, intarissable même ; que lorsqu’on parle droits, on ouvre une boîte de Pandore (au bon sens du mot) qui ne se refermera jamais ; que dès qu’on mise sur l’ouverture, on abandonne toute possibilité de clôture ; que donc le caractère non terminé, non accompli, inachevé de la démocratie peut bien occasionner des insatisfactions, mais celles-ci sont une qualité plutôt qu’une faille de la démocratie, son atout plutôt que son handicap. Ou pour tenir un discours moins philosophque que pragmatique, que le chemin qui a pris les Lumières comme porteuses d’idéaux a produit de meilleurs résultats que celui qui les accusait de servir d’alibi. Il semble qu’aujourd’hui extra libertatem nulla salus est, pour proposer une paraphrase du célèbre mot d’Origène d’après lequel en-dehors de l’Église il n’y aurait pas de salut. La liberté peut ne pas être une condition suffisante pour le bonheur ou le bien-être des humains, mais sans aucun doute elle s’en est montrée la principale condition nécessaire.
Cela signifie que pour aller au-delà de l’Encyclopédie il faut passer par elle. Est-ce possible ? Le grand problème qui se pose pour les idéaux des Lumières peut se résumer en une phrase : ils prônent une autonomie radicale de la personne morale, conçue comme un individu. Tous les liens qui nous attachent aux autres, s’ils ne sont pas endossés par notre choix libre et éclairé, ne sont que des fers. Il faut les mesurer – les « juger », dirait Kant. C’est pourquoi la justification des bourreaux nazis, d’après laquelle des ordres sont des ordres qu’ils ne faisaient qu’obéir, est inacceptable. Dans leur procès, dont le plus célèbre fut celui d’Eichmann, les accusés étaient interpelés en tant qu’individus autonomes, un rôle qu’ils refusaient. Évidemment ils désiraient se sauver de la potence en se proclamant irresponsables, mais ce que leurs juges les sommaient d’assumer était leur liberté. Ils étaient responsables de leurs crimes parce qu’ils auraient été libres de les pratiquer ou non. A la remarquable exception de Speer lors du grand procès de Nuremberg, presque tous ont préféré se dire des incapables, ce qui ne les a d’ailleurs pas sauvés de l’exécution infâmante. Or, que ce soit dans les jugements des nazis ou dans le cabinet d’un psychanaliste, ce qui est extrêmement moderne est de vous sommer d’assumer votre liberté, de vous dégager de toute justification qui passerait par votre attachement à autrui, bref, de faire remonter toute association à laquelle vous appartenez à un choix que vous auriez fait mais que vous auriez également pu ne pas faire.
Le problème est que dans d’autres cultures l’appartenance à un groupe peut avoir une importance nettement plus grande qu’en Occident.
Retournons aux indépendances du 19e siècle, presque toutes en Amérique du Sud et centrale. Or même en Amérique latine, cette « Europe dissidente » où les valeurs des Lumières ont aidé à l’indépendance, la contribution des Philosophes à l’émancipation nationale n’est pas allée sans problème. Les Pères de nos patries étaient certes imbus de valeurs modernes. Les « Inconfidents » du Minas Gerais, en 1789, avaient dans leurs bibliothèques des livres français interdits. On peut dire le même de plusieurs autres libérateurs des Amériques. Mais dans ces sociétés les personnes instruites dans la culture moderne, celles qui pourraient faire usage politique des idées des Philosophes, étaient minoritaires par rapport aux Indiens et aux descendants des Africains. S’il devait y avoir une démocratie, le « demos » serait composé majoritairement de personnes dont la culture n’offrait guère de place à l’idée d’individu. Cela signifie que ou bien les nouveaux Etats s’ouvriraient aux ethnies non européennes, ce qui rendrait difficile leur construction d’après les modèles qui se dessinaient en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en France, ou bien les couches les plus pauvres seraient dominées et réprimées par la minorité d’origine européenne – ce qui a été finalement le cas. S’il est nécessaire de critiquer cette indépendance qui a rapidement glissé vers l’oligarchie, il faut également noter que toute alternative serait difficile. Le seul Etat où les anciens esclaves ont pris le pouvoir, Haïti, n’a pas été une histoire de succès. Cette scène originale des independencias explique sans doute pourquoi on a alterné, pendant un siècle et demi, entre des démocraties à citoyenneté restreinte, parfois très restreinte, et des régimes d’exception parfois cruels. Comment avoir la démocratie – ou au moins une forme plus libre de gouvernement que celle associant monarchie, colonialisme et esclavage ou encomiendas – si on amputait le « demos » de la majorité de la population ? et comment bâtir un Etat moderne avec des populations dont l’identité n’était pas fondée sur l’individu ? Telle a probablement été la tragédie des indépendances latino-américaines, faisant en sorte que les discours des Lumières étaient souvent tenus par des caudillos, des seigneurs d’esclaves, des oligarques, bref, par des leaders qui dans leur pratique ne suivaient point les idéaux dont ils se targuaient.
Mais dans les deux siècles qui se sont passés beaucoup a changé. A la seule exception de l’importance qu’on accorde à l’identité individuelle ou groupale, les valeurs des Lumières sont de plus en plus requises non seulement par des cultures dissidentes, mais également par celles qui sont complètement non-occidentales. Les manifestations à Beijing après la mort de Chou En-Lai, em 1976, c’est-à-dire lorsque le pouvoir chinois était encore aux mains des héritiers de la Révolution culturelle qu’on surnommerait plus tard « la Bande des quatre », montraient que des masses chinoises importantes désiraient des formes démocratiques censées être occidentales ; ces meetings ont contribué à éroder la méfiance que quelques Occidentaux, surtout mais pas seulement à gauche, éprouvaient vis-à-vis ce qu’ils considéraient comme l’exportation des valeurs de l’Ouest vers l’Est. En 1989 les manifestations sur la place Tien An Men ont de nouveau exposé au monde que des valeurs d’origine européenne pourraient être devenues universelles. A la même époque la chute des régimes communistes en Europe signalait qu’un modèle – dont les contours ne sont pas précis et qui peut et doit être constamment redessiné – de démocratie s’imposait. L’alternative communiste disparaissait, en même temps que les espoirs qu’on pourrait éventuellement avoir déposés sur un socialisme marxiste démocratique, c.à.d., une démocratie où il n’y aurait pas de propriété privée des moyens de production (cette idée est aujourd’hui rejetée vers les utopies). Mais, de toute façon, même si au cours des derniers vingt ans beaucoup ont identifié démocratie et capitalisme, ce qui mobilise les partisans de la liberté et des droits de l’homme est la démocratisation de la société et de l’Etat. Si le capitalisme souvent l’accompagne, il ne suscite pas le même enthousiasme. Même ceux qui soutiennent que sans économie de marché il n’y a pas de démocratie proposent un rapport entre les deux qui est celui de moyen et de la fin. D’ailleurs, si le capitalisme est pour l’instant le régime le mieux à même d’assurer des libertés démocratiques, cela ne signifie pas que leur rapport soit nécessaire et exclusif de tout autre. Le capitalisme a bien été capable de soutenir des dictatures ; il n’est donc pas essentiellement démocratique ; sa fidélité à la démocratie n’est pas sans fissure ; alors pourquoi demanderait-on à la démocratie une fidélité, une allégeance au capitalisme que celui-ci ne lui retourne pas ?
Si la Chine en est restée à l’expression d’un désir de démocratie avorté par de successives répressions, la chute des dictatures « de droite » en Amérique latine et de celles « de gauche » en Europe de l’Est, entre 1982 et 1991, a redessiné l’atlas politique mondial. Mais peut-être l’apport théorique le plus intéressant à la nouvelle poussée démocratique, celui qui permet de tenir compte et des idéaux des Lumières et des valeurs importantes des sociétés peu ou non européennes, nous est venu d’Afrique du Sud. Lorsque son premier gouvernement démocratique décide de créer un Comité pour la vérité et la réconciliation – une initiative brillante et qui tranche en même temps avec le modèle de Nuremberg et avec celui de l’expulsion des Pieds-Noirs d’Algérie– le mot-clé choisi est ubuntu, qui dans les langues bantoues signifie quelque chose comme je ne suis que par vous, je suis ce que je suis parce que j’appartiens à un groupe, à une collectivité ; une autre traduction possible, intéressante parce qu’elle s’oppose directement au grand principe occidental qu’est le cogito cartésien (« je pense, donc je suis ») est « nous sommes, donc je suis ». Ce même nom est repris d’ailleurs par les auteurs innombrables de ce grand projet collectif qu’est Linux, pour nommer l’un de leurs logiciels. Dans ce contexte l’idée que le choix individuel prime l’appartenance à un groupe risque de signifier assez peu. Une ébauche de compromis qui consisterait à se dire j’appartiens à ce groupe parce que je l’ai librement choisi rate l’essentiel d’une identité collective qui précède toute forme de liberté. Peut-être l’essai plus intéressant qu’on mène de nos jours dans ce but est celui qu’a posé la Constitution de Bolivie promulguée en 2009, et qui institue presqu’une quarantaine de différentes jurisdictions légales. Chaque citoyen de Bolivie répondra de ses actes criminels ou de ses intérêts économiques devant une cour de son ethnie (il en existe une, supplémentaire, pour ceux qui ne sont pas Indiens). Contre cette norme on a brandi l’épouvantail de l’insécurité juridique et celui de la desagrégation nationale. Mais il est assez probable que les justices indigènes soient saisies surtout pour proposer une solution des conflits qui passe par la conciliation plutôt que par la répression. Il est possible que ce soit l’essai le plus poussé afin de donner réalité, dans une société étatique, à une idée de Claude Lévi-Strauss. Le grand anthropologue dont l’oeuvre est aux racines de l’Unesco disait il y a plus d’un demi-siècle que les sociétés blanches tendent à l’« anthropoémie », c’est-à-dire à l’exclusion du criminel, qu’on enferme ou on exécute, tandis que celles « sauvages » seraient plutôt « anthropophages », c’est-à-dire qu’elles cherchent à intégrer le criminel dans leur sein. Il semble que le pari de la création d’un nouveau système légal et judiciaire qui tienne compte des valeurs d’une majorité de la population de souche indigène vise à renforcer des procédés de conciliation et d’intégration, ce que le système légal occidental n’a pu faire. Attaquer son prochain en justice est compris par nous presque comme une déclaration de guerre, qui entraîne l’appel à un avocat, l’intervention du parquet, la décision par le juge et tout cela pour appliquer la lettre de la loi. Malgré les efforts de beaucoup de penseurs et d’activistes du Droit, celui-ci reste une instance assez froide ; il incarne un paradoxe : les moyens qu’il nous offre pour la résolution des conflits créent de nouveaux conflits, de nouvelles tensions, même si celles-ci restent en sourdine. Il se peut que le recours à un système où l’importance est accordée à une instance collective à laquelle on appartient – les Anciens, les sages de la tribu, les coutumes – nous offre une intéressante alternative qui pourra éventuellement réduire vraiment la tension à l’intérieur des sociétés. Mais il faut se souvenir que ces projets, celui qui a réussi en Afrique du Sud et celui qui commence aujourd’hui son itinéraire en Bolivie, ne représentent aucune rupture avec l’héritage des Lumières. Ils ne se limitent pas à lui donner suite, parce qu’ils lui apportent de nouveaux éléments. Mais ils ne brisent pas avec les idéaux des Philosophes. S’il y a encore beaucoup de pays au monde qui n’ont pas encore adopté des formes démocratiques de vie, comprenant les libertés d’expression, d’organisation, de vote, le changement qui s’est plus ou moins complété vers 1990 et qui a fait que pour la première fois dans l’histoire du monde la majorité de la population globale jouisse de ces droits a également signifié que le noyau des valeurs des Lumières est aujourd’hui perçu comme un patrimoine universel, humain à vrai dire. Dans les nouvelles démocraties les libertés « traditionnelles » s’ajoutent souvent à de nouveaux droits. On assiste ainsi à un véritable aggiornamento des Lumières au 21e siècle.
On trouve Economia Cristã dos Senhores no Governo dos Escravos à l’adresse http://www.histedbr.fae.unicamp.br/navegando/fontes_escritas/1_Jesuitico/artigo_001.html. Cet ouvrage est parfois présenté comme précurseur de l’abolition de l’esclavage ; l’historienne Silvia Lara a montré qu’au fait il ne conteste ni cette institution ni les punitions physiques infligées aux captifs.
Mille autre exemples seraient possibles, mais je pense ici à un livre qui a eu un fort impact au cours des années 1970, Para leer al Pato Donald, de Ariel Dorfman et Armand Mattelart (Buenos Aires : Siglo Vientiuno Editores, 1972). Evidemment je n’ attribue pas aux deux auteurs une interprétation de l’idéologie qui en fait l’oeuvre d’un sujet conscient et délibérément menteur ; mais il est inévitable que beaucoup de ceux qui entrent en contact avec le concept marxiste d’idéologie, et qui le trouvent utile, commencent par le comprendre comme un gigantesque mensonge ; telle a été la réception la plus courante de ce livre ; et plusieurs ne s’émancipent jamais de cette lecture, je le répète, naïve.
« ...Si un homme, par sa mauvaise conduite et par quelque crime, a mérité de perdre la vie, celui qui a été offensé et qui est devenu, en ce cas, maître de sa vie, peut, lorsqu'il a le coupable entre ses mains, différer de la lui ôter, et a droit de l'employer à son service. En cela, il ne lui fait aucun tort (...) Voilà quelle est la véritable condition de l'esclavage, qui n'est rien autre chose que l'état de guerre continué entre un légitime conquérant et un prisonnier ». [Deuxième] Traité du gouvernement civil, trad. française de David Mazel en 1795, ch. IV, par. 23-24. Disponible à l’adresse http://classiques.uqac.ca/classiques/locke_john/traite_du_gouvernement/traite_du_gouver_civil.html. Il va de soi donc que, si les captifs ont théoriquement perdu leur droit (forfeit) à la vie et donc à la liberté, cela ne vaut pas pour leurs enfants. Pourtant, la Constitution de la Caroline (du Nord) datée de 1669 et qui est attribuée à Locke reconnaît l’esclavage habituel, y compris son caractère héréditaire.
« Je pense à nos coutumes judiciaires et pénitentiaires. À les étudier du dehors, on serait tenté d'opposer deux types de sociétés : celles qui pratiquent l'anthropophagie, c'est-à-dire qui voient dans l'absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables, le seul moyen de neutraliser celles-ci et même de les mettre à profit ; et celles qui, comme la nôtre adoptent ce qu'on pourrait appeler l'anthropoémie (du grec émein, vomir) ; placées devant le même problème, elles ont choisi la solution inverse, consistant à expulser ces êtres redoutables hors du corps social en les tenant temporairement ou définitivement isolés, sans contact avec l'humanité, dans des établissements destinés à cet usage. À la plupart des sociétés que nous appelons primitives, cette coutume inspirerait une horreur profonde ; elle nous marquerait à leurs yeux de la même barbarie que nous serions tentés de leur imputer en raison de leurs coutumes symétriques ». Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques (1955), Éd. Plon, 1993, pp. 447-448.